Quand on a tout oublié | Done

HISTOIRE - Difficile de raconter quelque chose quand on n'a rien à dire. Tout tourne autour des banalités ; quel temps fait-il aujourd'hui ? Comment va madame Martin ? Est-ce que le petit dernier fait ses dents ? Mais quand parler de ces choses futiles n'est pas suffisant pour dissiper l'ombre terne, qu'au coin de l'oeil, on scrute, alors on commence à se demander qui. Qui est, qu'est cette forme humanoïde qu'on crut voir quelques instants au détour d'une ruelle. Est-ce un effet d'optique, un simple rayon de lumière mal reflété ? Devient-on paranoïaque ? Mais ne pas avoir de nom, au delà de tout le reste dans cette société, c'est un crime. Comment vous reconnaître de la foule environnante si vos géniteurs ne vous ont pas donné ce conventionnel attribut ? 'Bien Luth avait compris. Il n'existait que si on lui donnait un nom. Alors il semblait sortir d'un décor monotone. Le reste du temps, il était fondu contre les murs, comme tous ces oiseaux qu'on entend sans voir. On sait qu'ils sont là, mais à quoi bon y accorder un tant soit peu d'importance ? Oui, Luth avait compris tout ça.

Dans les labos, on l'appelait 12. Sûrement parce que c'était le douzième hybride créé, ou parce que c'était le douzième oiseau. Ou le douzième mâle, ou qu'il était dans la capsule 12, ou qu'en fait c'était la 21, la 15 ou la 51 et qu'il était con (et que les chiffres étaient mal écrits (et qu'il ne se souvient ni du sens, ni comment on lit les nombres)). Toutes ces hypothèses sont probables vu qu'il ne se souvient de rien. Ni nom (il doute d'ailleurs en avoir eu un jour), ni attaches, ni affection quelconque. Alors quand on lui demande un nom, il répond simplement "donnez-m'en un". Les seules choses dont il est sûr sont qu'il ne porte pas vraiment les humains dans son coeur, et qu'il était auparavant dans une cage. Ça, il s'en souvient, d'où le 12 (15 21 51 bref). Il se souvient aussi être sorti, enfin il croit. Il n'en est pas vraiment sûr, parce qu'il a été ensuite immédiatement ramené dans sa chambre/cellule. Alors, quelque part, il se dit que c'est sûrement une hallucination. Mais d'un autre côté il n'en est pas si sûr, car après cette possible excursion, on lui a retiré ses ailes, de l'os de l'omoplate au dernier ligament, sans anesthésie. Ce n'était pas très gentil.

En toute logique, il devrait essayer de s'enfuir, ou quelque chose de ce genre, mais ce sont les gens, autant scientifiques que quidams, qui l'amènent consciemment dehors ! Que ce soit pour le tester, l'emmerder ou juste lui faire prendre l'air, c'est plutôt réussi. Alors il s'en va, fait un tour dans la ville et la nature environnante. Cependant, la "prison" n'est jamais bien loin et... Il finit toujours par y être ramené. Mais le plus frustrant est peut-être le fait qu'il ne sait absolument pas pourquoi ou a besoin de lui ici